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- Poezii
de Ionuţ Caragea traduse în franceză de Petruţa Spânu - volumul Cer fără
scări, editura eLiteratura, Bucureşti, 2014
Charon, toujours en errance
tout en voguant quelque part au-dessus de l’imagination
la mort projette et ancre une maladie
dans ma chair, dans mon sang, dans la division de la cellule
je passe d’un monde dans l’autre
comme l’aviron dans l’eau par Charon poussé
mon espoir est espérance
enfant orphelin de l’incertitude
jeté à la poubelle de ce monde
dogmatique
les vagues s’opposent
rejetant une partie de moi sur les rivages
je serai le son de la mer
parmi coquillages et escargots
le grain de sable et la perle
que tu portes entre tes seins
entre la terre de tes eaux et le ciel de ta bouche
je serai un battement de cœur
nous partagerons le temps en éternités égales
nous tirerons une ligne que nous franchirons en aimant
La férocité de la parole
qui sommes-nous réellement…
que les miroirs nous répondent, interprétons nos rêves
lisons dans nos paumes
arrêtons-nous au bord des eaux
confessons-nous aux amis imaginaires
voyageons loin
loin de toute forme de doute
admirons l’horizon
regardons dans le gouffre
de la famine
pendant ces temps de défrichements massifs de la mémoire
d’ombres nuisibles et de préjugés
pendant ces temps d’hypothèques sur le corps
et de dettes dans l’âme
la parole, oui, la parole
erre férocement de par le monde
évadée de la laisse de la divine tragédie
On ne prend jamais la mort au sérieux
on ne prend jamais la mort au sérieux
cette présence invisible
qui nous habite à tous les instants
quelque désertes que soient nos vies
comme des rues où seule la poussière circule encore
nous prenons rendez-vous avec les ombres
et allons ensemble à la rencontre des désastres
nous arrivons à croire que l’amour
consista simplement à nous faire mal
un signe divin, un jugement, un huis clos du baiser
on ne prend jamais la mort au sérieux
ce froid frisson qui nous passe dans le dos
comme une chute dans le vide dans notre propre rêve
au moment où nous touchons la terre
et tout tremble
même la terre à l’intérieur
nous marchons en rangs serrés, gens et ombres
on souhaite chacun être autre chose
à la fin les uns et les autres
on est des anges et des oiseaux noirs
dans le ciel de la bouche d’un mort célèbre
En rêvant à l’immortalité
je reste l’esprit aux aguets, à la blessure ouverte
comme une fleur carnivore
les mots passent par mon sang, viennent vers mon âme
afin de s’enrichir de sens
et moi, gourmand, les enferme dans mes tripes
en rêvant à l’immortalité
mais comment résister, les paroles crient-frappent
réclament leur liberté
je suis aux prises avec le prix de la vie, je m’acharne
que la terre lui soit légère au poème
que je viens de tuer
Le mot devant lequel les gens meurent
il y a un mot devant lequel les gens meurent
sans pleurer, sans avoir mal
les gens, tout simplement, meurent
mais quel est ce mot-là
que tellement souhaitent connaître
certaines gens !
la mort seule
le recèle dans son regard
il y en a qui restent figés sur place
je voudrais découvrir ce mot
sans en mourir
l’écrire en secret
sur une page blanche
si blanche que le mot
soit englouti vivant
et meure dans les entrailles du blanc
ensuite m’endormir tranquillement
dans les bras de ma bien-aimée
dormir tranquillement
Dans mon sang éclate le djihâd
où êtes-vous, les mots, miracle de l’accomplissement
en vain ce trône règne-t-il
sur l’empire du rien!
aucun oiseau aveugle, aucune pensée bouleversée
par la tendresse
aucune ombre lévitant au-dessus des neiges éternelles
aucun sacrifice en offrande au monstre sacré
cerbère aux portes du rêve
où êtes-vous, élégies de la mort
vaines recherches
dans les amnésies du temps!
où es-tu, bête déchaînée
ange impondérable, nuit féerique
ego transcendantal, lumière salutaire
où es-tu, muse aux clochettes
araignée sur mon globe oculaire
en ce moment-même dans mon sang
éclate le djihâd!
L’osmose des blessures
nous sommes des chasseurs aux lassos de sang
des contrebandiers d’âmes par-delà les frontières d’un baiser
jongleurs aux cœurs de chiffon
nous sommes des amours ignifuges
nous nous retirons commodes dans des matelas moelleux
et versons des larmes de crocodile
pour la réincarnation des passions dures
dieux captifs dans le camp
de la perpétuation
nouveaux stars élevés
dans le berceau de la civilisation corrompue
le temps bégaye
sans trêve l’horloge biologique avance
le silence suppure
l’émotion gangrène aux articulations
le désir casse les bras du cœur nu
nous nous promenons d’un corps à l’autre
comme dans les chambres d’un labyrinthe
sans issue
nous sommes et nous sommes encore
la même rythmicité sous la dictature de la ruine
la même répétition du verbe
L’écho de l’absurde
je souffre de la faim des autres
de leurs douleurs et de leurs chagrins
échecs, désillusions, voyages interrompus
espoirs endettés redevables au passé
couchers du soleil imbibés dans le noir poison des rêves
je souffre de l’impuissance des autres
maladies qui n’ont pas été traitées à temps
solitude sur le lit de Procuste
les mêmes méthodes de suicide
et la vie va de l’avant comme un chien
la langue pendante
je souffre du stress et des promesses
faites pour l’amour de la promesse
effleurement, rejets, vols, chutes, brisées
calculs sur calculs et tout reprendre à zéro
le même épisode de la naissance prématurée
les mêmes mûrissements forcés, les mêmes crimes prémédités
la trilogie du destin, les mêmes modes
d’emploi de ses semblables comme cobayes:
nourrit, grandit, assomme
Ange à la maturation forcée
en fin de compte
nous arrivons aux mêmes compromis
anges à la maturation forcée
errant dans des mondes virtuels
à la recherche d’un peu de tendresse
le bonheur une larme
prohibée par les dieux
gestes machinaux
impôt sur les mots dits de tout cœur
loyer pour le monde que nous portons dans le dos
rien ne compte plus
sauf la loi et l’ordre
même si notre âme métèque
mendie dans le chaos de la chair
nous nous cachons effrayés
nous rêvons le réveil à la tempe
journal personnel avec tristesses et angoisses
en fin de compte…
Le seul génie
la mort est le seul génie
dans le maniement du temps boomerang
une faux au cou du destin
un point d’interrogation à la fin d’une proposition
un vampire sirotant la lumière des espaces étroits
et la transpiration de ceux enlacés dans le rut
en défiant la gravitation par de hauts vols ou ombres
filtrant l’air des alvéoles pulmonaires
et l’atmosphère de chaque caveau
toute d’humidité
et d’odeurs apocalyptiques
la mort est le seul génie
dans le maniement du mot
voyageant du ventricule gauche
jusqu’au bord de l’univers
la mort est le seul génie
capable de combler tous les espaces vides
entre les gens et les anges
entre le ciel et la terre
entre les étoiles et les trous noirs
entre toutes les choses visibles et invisibles