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DANIEL CORBU - CATABASE
L’histoire de l’anachorète Daniel
ou les ascensions et les chutes d’une vie d’unique usance
 
                  Si tu as un corps à vendre, vends-le !
                  Si tu as une Sodome à fleurir, fleuris-la !
 
Que je vous dise encore une fois l’histoire du voyageur égaré
Dans le pays sans nom ?
 
I
Peut-être que tout devrait se produire dans un seul livre
Où seulement ce que tu as aimé reste comme une flamme flottante
Comme un intime ressort de la non soumise inanité. À propos de lui on dira :
Il avait un oeil glorieux qui ne regardait que soi même.
Il était si préoccupé par les essences
Que même la mort semblait une mélodie galante.
Il aurait pu parler plus sur les abattoirs de la peur il pourrait se vêtir d’une chemise étrangère
Ou accepter les jeux et pas le supplice
Il aurait pu rester dans le choeur sceptique des hommes
de la sagesse antique
S’il n’avait pas vaincu par-dessus leur limite une autre
et une autre limite effrayante
 
II
Il écrivait des chansons à surmonter la routine
et il y avait tant à se précipiter à arranger
sa couronne d’épines.
Il adoucissait le hasard aveugle
Il était grave comme un étoile lactée cérémonieux
comme un lever de soleil
Et se mélangeait souvent avec les thaumaturges les ésotéristes
et les sacerdotes des pages jaunies.
Il disait :
Si tu as un corps à vendre, vends-le ! Si tu as une Sodome à fleurir,
Mais celle de l’intérieur, l’infinie,
fleuris-la !
Cherche-la avec dévouement et soin distingué soin afin que tu de ne la blesser pas.
Cultive ton sommeil ! De telle manière qu’elle puisse sortir
de toi
Pour qu’elle te renie
Et en fin de compte pour qu’elle ait où
revenir.
Parce que
Tout ce qui paraît autour de nous est destiné à nous dominer .
Ils enlèveront même ton coeur
Et à l’instant un nouveau coeur paraîtra ou ils te planteront
les ailes si attendues que tu fera grandir
Seul et en totale symétrie
Et toujours toi en les détachant tu les jetteras une à une à la mer.
 
III
On parlait de lui comme d’un préjugé
c’était celui qui entend le hennissement des chevaux D’un
moyen âge imprévu
Et du gémissement des langues mortes. Parfois il disait :
Ça alors ! le monde change
Sur les collines et les vallées postmodernes qui parle poliment ? Qui
Choisit encore ses mots ?
L’impatience est devenue une sorte de fretin dans la cour de l’hôpital
d’urgences
Et la raison une sorte de forteresse de glace.
Par la pitié des voitures les musaraignes disparaissent elles aussi.
Par la bienséance face aux mille-pattes des ondes
de la communication
Les petites blattes du colza ne sortent plus du terrain.
Le monde change. À moins que nous puissions reconstruire
l’âme des mots.
 
IV
Parfois je le vois se glisser
À travers les flèches empoisonnées du jour esclave et roi
de la métaphore
En mettant sur gage ses nuits blanches. Je l’entends parler
à un peuple invisible.
Glorifions de manière égale le cercueil de eu de la déaite
Le cercueil en glaise de la victoire les chutes dans l’abîme du soi
Là où la malédiction s’éclaircit
Et se retirent des murs temporaires. Il disait :
Rien ne finit sereinement ni la raison abstraite
Ni la transplantation de l’arôme de rose. Et il disait encore :
Les chercheurs d’essentia nobilis sont fatigués eux aussi.
Mais si c’est moi que vous voulez fuir je vous donne les ailes, moi.
 
V
Il semble que ce qui fut à dire je l’ai déjà dit.
Rien sur les inestimables dons rien sur le tout dominateur Néant!
Je laissai tomber de moi les mauvais mots
disait-il
J’enterre profondément l’envie
Et la hache de la guerre aussi. Ne saignez plus pour moi
Pierres forêts de l’enfance, ni vous,
vestales de la jeunesse passée !
Maintenant je grimpe les montagnes de l’âme là-bas on n’entend
pas non plus l’aboiement des étoiles
On ne voit pas la douceur de l’ange non plus Et
les mots sont les ovales de la bouche déserte.
 
VI
Je suis plus vieux que l’ombre
Né de l’obscurité du monde me disait-il .
Sans fortune   sans disciples   sans espérance.
J‘inventai des acrobaties absurdes
J’inventai de déchirantes cadences d’une langue
seulement par moi connue
Et tant de rêves tels les jardins suspendus où personne ne va.
Tard les illusions deviennent des cadavres
que les gens oublient d’enterrer.
 
VII
Je l’entendais dire
Lorsqu’il admirait l’arbre avec des hiboux somnolant
en plein jour :
C’est à peine si je ne connais mes routes mais le brouillard
qui les couvre
Peutêtre une joie d’aurore.
Comme sur un écran
D’une salle de cinématographe on peut voir
Se rassembler les petits morceaux de la pensée
dans un point et le point devient
une larme.
 
VIII
À propos de lui on dira :
Il avait un oeil glorieux qui ne regardait qu’en soi.
Il aurait pu se vêtir d’une chemise étrangère
ou accepter les jeux et non pas le supplice.
Il aurait pu accepter quelque lignes de fausses ailes
Ou négocier à un bon prix la poussière d’étoiles.
Mais
Il était si préoccupé par les essences
que même la mor t lui semblait une mélodie galante.
(Traduction par Miron Kiropol)
 
Daniel Corbu
 

Sursa: Daniel Corbu, 7 dec. 2021