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O antologie a aforismului românesc publicată în Franţa:
"Aphorismes roumains d'aujourd'hui", ed. Stellamaris, Brest, 2019
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La editura Stellamaris din Brest ( Franța) a apărut o antologie a
aforismului românesc publicată în limba franceză:
"Aphorismes roumains d'aujourd'hui". Lucrarea are 228 de pagini şi
cuprinde în jur de 1700 de aforisme scrise de 40 de autori români
contemporani. Autorii au fost selecţionaţi în funcţie de premiile
obţinute la concursurile de aforisme sau prezenţa în alte antologii
dedicate acestui gen literar.
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Coordonatorul principal al acestei antologii a fost scriitorul Ionuţ
Caragea din Oradea. Traducerea în limba franceză a aforismelor și a
biografiilor a fost realizată de prof. univ. dr. Constantin Frosin,
traducător distins cu numeroase premii naționale și internaționale.
Prefața antologiei îi aparţine reputatului critic literar francez
Jean-Paul Gavard-Perret. Acesta a alcătuit în prefaţă un mini-portret
critic pentru fiecare dintre cei 40 de autori. Coperta antologiei a fost
realizată de graficianul Bogdan Calciu, desenele de pe copertă fiind
reproduceri după două sculpturi de Constantin Brâncuşi:
Poarta Sărutului (coperta 1) şi Coloana Infinitului (coperta 4).
Tehnoredactorii antologiei au fost editorul Michel Chevalier şi Ionuţ
Caragea.
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Autorii prezenţi în antologie:
Petruș ANDREI, Constantin ARDELEANU, Gabriel Petru BĂEȚAN, David BOIA,
Alina BREJE, Valeriu BUTULESCU, Ionuț CARAGEA, Theodor CODREANU,
Pompiliu COMȘA, Letiția COZA, Paula Adriana COZIAN, Alin CRISTEA, Iosif
M. CRISTIAN, Ion CUZUIOC, Florentina Loredana DALIAN, Emil DINGA, Ion
DIORDIEV, Ion DIVIZA, George DRĂGHESCU, Teodor DUME, Mihai ENACHI,
George GEAFIR, Vasile GHICA, Vasile Sevastre GHICAN, Gheorghe GURĂU,
Ovidiu KEREKEȘ, Victor MANOLE, Nicolae MAREȘ, Gheorghe MIHAIL,
Constantin OANCĂ, Mircea OPREA, Cornel PAIU, Nicolae PETRESCU-REDI,
Vasile PONEA, Elis RÂPEANU, Michelle ROSENBERG, Gheorghe A. STROIA, Dan
SURDUCAN, Lucian VELEA, Silvia VELEA.
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Antologia poate achiziţionată de pe site-ul editurii Stellamaris (http://editionsstellamaris.blogspot.com/2019/01/aphorismes-roumains-daujourdhui.html),
iar în scurt timp va putea fi cumpărată de pe Amazon, dar și din câteva
librării fizice și online din Franța. Prezentarea autorilor din
antologie:
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http://editionsstellamaris.blogspot.com/2019/01/auteurs-aphoristes-roumains-daujourdhui.html
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https://www.wobook.com/WBUx6cp1Hi0P-f
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Prefaţa completă a antologiei:
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Ionuţ Caragea propose une anthologie essentielle à qui veut connaître
les aphoristes roumains. L'auteur n'en est pas à son coup d'essai. Il a
contribué au développement et la diffusion d'un tel suc poétique en son
pays. Traduit en plusieurs langues, l'auteur est lui même un maître de
la forme condensée. En collaboration avec la maison d'édition
Stellamaris, le maître de cérémonie peut offrir au lecteur francophone
cet aspect peu connu de la littérature roumaine même si l'un de ses
compatriotes fut l'initiateur du renouveau d'une telle forme : Cioran.
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L'académicien Giovanni Dotoli a joué un rôle très important dans le
projet : il l'estimait nécessaire et Ionuţ Caragea l'a réalisé en
confiant la traduction à Constantin Frosin, l'un des plus importants
traducteurs roumains contemporains. Il a brillamment assuré une tâche
souvent difficile afin de conserver aux auteurs leur personnalité et aux
textes leurs subtilités dans l'humour ou la gravité.
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Les
auteurs retenus synthétisent les plus importantes questions de la vie.
Tout l'être en ses multiples aspects jaillit entre joie et douleur. À
chaque poète son univers. Pour certains « les femmes ne sont belles
qu’au moment de pleurer. » Pour d'autres c'est l'inverse : elles sont
belles car elles demeurent l'espoir du monde.
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Dans
tous les cas les périmètres identitaires (« être ou ne pas être ») se
manifestent selon diverses surfaces et profondeurs. Les poètes
dialectisent les conditions éthiques, politiques, économiques, sociales,
esthétiques, existentielles. D'une façon ou d'une autre tous parient
pour l'avenir même s'il est de plus en plus complexe et son horizon
confus.
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Chacun à sa manière ‒ avec espoir ou désillusion ‒ propose son ‟pari”
pascalien. Et s'il est des chemin qui n’aboutissent pas ne serait-ce pas
parce que les hommes restent trop souvent incapables de trouver un sens
à l'existence ? Ce n'est pas toujours facile, mais l'aphorisme est là
pour faire plus qu'un simple point.
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Car
telle forme est un puissant miroir. Mais il peut facilement devenir
déformant à qui recherche plus l'effet que la consistance. Mais
l'anthologie ‟carageénne” prouve que cette haute forme de communication
permet de percer les silences insondables. C'est une manière d'ouvrir
l'inexprimable loin des lieux où les mots nous lâchent. Ici ils font
masse dans la ténuité de chaque lambeau ou écharpe de sens. Le vécu y
trouve des racines nouvelles. Elles prennent divers aspects.
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Petruş ANDREI rapproche quasiment ses distiques du haïkus par la
rythmique et les liens qu'il entretient entre l'être humain et la nature
: « Les bouleaux représentent des bougies pour la prière ». À partir de
là le lien se tisse entre le paysage et l'émotion dans l'appel d'une
délivrance. La poésie en reste la clé. Elle s'élève contre la souffrance
faite aux femmes et contre la morale politique frappée du diktat des
dictatures. À ce titre l'auteur préfère se revendiquer comme l'idiot de
son village pour annoncer des vérités premières souvent tues mais
soudain apprivoisées.
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Constantin ARDELEANU propose lui aussi ‒ et c'est une constance
facilement compréhensible chez les poètes roumains ‒ une critique
politique. Elle touche à la fois le vieux monde communisme et ses idées
du ‟bonheur” comme l'occident capitaliste où l'on finit par ne
feuilleter que des ‟cartes de crédit”. L'auteur ‒ et le temps le lui a
appris ‒ sait voir le ver qui se cache dans chaque fruit. Preuve que la
liberté n'est pas aussi simple qu'on le dit : soudain se produit une
sensation étrange : « la célèbre Statue de la Liberté vous assène des
coups sur la tête avec sa torche ». Qu'ajouter de plus? Sinon boire
parfois ‒ au nom d'une désespérance ‒ à la santé de l'oubli.
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Gabriel Petru BĂEŢAN croit encore à la vérité et à la beauté. Même
lorsque la première ‟sort des tombeaux”. Quant à la seconde où la
trouver sinon ‟à tâter le coeur” ? Dans cet but l'auteur fait le pari de
l'intelligence et du civisme. Dans notre monde moderne et ses médiations
perfides ils se perdent. Néanmoins, à la ‟tête carrée” il faut préférer
celle qui reste bien pleine et éduquée. D'amour en premier lieu. Quant
au poète il a mieux à faire que se soucier d'immortalité. Cette farce
est presque obscène face aux misères qui parsèment le monde au moment
même où il court à sa destruction.
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David BOIA remonte l'histoire du monde depuis « le stress qui déclencha
le Big Bang ». Et ce ne fut que le premier. Depuis il essaime car rien
ne s'est arrangé. Fidèle au désespoir inhérent à l'aphorisme roumain,
l'auteur ne se fait guère d'illusions même si l'amour pourrait sauver le
monde. Toutefois l'égoïsme règne. Et celui des gouvernent n'est pas en
reste. Ils savent chaque fois récupérer toute velléité de révolte. Rien
de nouveau donc sous le soleil que certains prétendent faire briller
sous effets de spotlights. Face à eux l'aphorisme devient le fable
ultime. Celle de « la plaidoirie d’un animal pour l’humanité ».
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Alina BREJE se veut plus ‟positive”. Sans doute parce qu'elle est femme
et donne la vie. Sa vision métaphysique tente de surfer sur les miasmes
de l'Histoire. L'auteure métamorphose l'aphorisme en ce qui illumine la
conscience de l'espèce qu'on nomme humaine. Elle veut croire encore que
« L’esprit n’oubliera jamais ce dont l’âme se souviendra toujours. »
Bref elle parie sur ce miracle face à la souffrance et le renoncement
pour trouver confiance dans les chemins du temps et ne pas désespérer de
l'impossible.
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Valeriu BUTULESCU cultive un aphorisme âpre et philosophique. La
métaphore y est impertinence et parfois acide : « Les critiques voient
la musique et entendent la peinture. » écrit celui qui s'élève contre
les prétentions de tous ordres. La femme reste pour lui l'avenir de
l'homme. Et l'auteur appelle les érudits à un peu plus de clémence. Ils
donnent des leçons au nom de leurs constructions intellectuelles.
L'auteur en souligne la pusillanimité : « Le ver creuse le temple de son
éternité dans une poire », et les prétentieux rampent comme lui. Ils
prétendent profaner le néant : ils le servent.
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Ionuţ CARAGEA donne à l'aphorisme sa plus substantifique moelle. Le
forme condensée représente pour lui la décantation essentielle afin
mettre à nu nos capitulations mais aussi nos espoirs. L'image et la
comparaison sont toujours essentielles à une telle entreprise : « De
même que le nénuphar ouvre au-dessus du lac, le verbe ouvre au-dessus
des pleurs. » Mais Caragea n'est pas toujours grave : il ose au besoin
un humour qui creuse le discours et l'ouvre au nom de l'amour. C'est le
seul miracle de vie et la résolution absolue au dur désir de durer face
aux ombres que nous nous donnons ou qui nous sont accordées comme seul
viatique.
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Theodor CODREANU lui aussi joue des images mais aussi d'une forme
d'intellectualisme astucieux : « Le paradoxe est une protestation contre
la première connue de l’équation. » Mais pour l'atteindre et faire
prospérer la lutte il convient de revenir aux les mythes face aux
mystifications. Mais l'écrivain en est-il capable ? Codreanu en rappelle
sa vanité. Trop d'auteurs se bornent selon lui à l'espoir d'une vague
célébrité. A cette aune beaucoup feraient mieux de se taire. Mais pas le
cas Codreanu. Sa grâce possède d'autres sources que l'immortalité
douteuse de bien des maîtres en logos ou en politique.
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Pompiliu COMŞA ose une violence astucieuse, comique et moins désespérée
que bien de ses confères en aphorismes. Il frappe dur et sec : «
L’avenir sonne bien. Dommage que personne ne réponde. » Et il espère en
son peuple qu'il tente de désenclaver de deux menaces. Il les traduit de
la manière la plus forte : « N’importe qui pense sainement doit être
puni de mort. Proverbe russe ? » d'un côté, « Je viens de buter ma
belle-mère. Le capitalisme sauvage n’admet pas la concurrence. » de
l'autre. Tout est dit sur les illusions historiques : à l'être humain de
jouer en dehors.
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Letiţia COZA « noue les instants aux confins du silence », et de ce fil
naît une écriture puissante dans sa force de lame tranchante. La poésie
est chez elle omniprésente : « Gage pour le courage : la couleur et le
parfum. Si j’étais un perce-neige !... » Tout ici est subtile, distancié
juste ce qu'il faut là où la nature en ses fruits fait corps avec
l'auteur. Elle n'hésite jamais à la fantaisie. Elle fait chez elle
toujours sens et ne possède rien d'une fatrasie. L'aphorisme est donc
bien ce qu'elle en dit : « Le coq de la classe de lucidité. » Le genre
bref touche chez elle à un absolu.
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Paula Adriana COZIAN croit en la sagesse. Preuve que pour elle tout
n'est pas perdu et qu'il peut rester du meilleur dans ce pire que les
hommes ne cessent de pratiquer en cultivant avec soins leurs erreurs.
Refusant le nihilisme elle espère dans ce qui unit les hommes. Et ce
même si ce sont plus leurs défauts que leurs qualités. Elle ne se fait
donc pas d'illusion mais cela permet à l'aphorisme de se poursuivre face
à tous les pouvoirs dont l'idéal est « d'inventorier rigoureusement les
modèles périmés par le temps. » pour mieux les utiliser. Il est donc
demandé aux sages d'accomplir encore des efforts. Un seul serait trop
peu face aux orgueilleux.
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Alin
CRISTEA avance dans l'aphorisme par sauts et gambades et comme sans y
toucher : « la vie ressemble à la pastèque du frigo : si elle n’est pas
sucrée, du moins te rafraîchit-elle. » Son écriture produit le même
effet. Mais elle peut encore plus. L'auteur ne s'en prive pas. Il ose
des vérités qui ont le mérite de s'ouvrir à la discussion. C'est
stimulant. Car c'est à travers ce qu'un auteur pense que les questions
s'ouvrent sauf aux ‟analphabètes du courage ». Cristea n'en fait pas
partie.
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Iosif M. CRISTIAN ne remet jamais au lendemain ce qui peut s'écrire le
jour même. Sinon le temps rend faible et manipulable. Or il est urgent
de réagir en faisant le pari de l'optimisme même s'il est mal porté en
littérature. L'auteur méprise avec raison ceux qui se croient ‟condamnés
à vivre”. En ce sens c'est un anti Cioran. Il est pour sa partd'une
autre complexion. Tout est bon pour lui dans le cochon humain. Et rien
ne sert de jouer à l'autruche. Qui triche ou se cache consent : Cristian
le refuse.
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Ion
CUZUIOC sait mêler l'humour à l'aphorisme. Mais cet humour est souvent
noir. Donc autant plus drôle : « L’aveugle peut voir bien loin, lui
aussi », « Même l’âne mérite des louanges : il se tait et tire »,
écrit-il. Ce qui évite une certaine propension à la dépression.
Qu'importe si avec le temps l'homme grince sur ses gonds : tant qu'il
s'ouvre à l'autre, de l'air passe. Et surtout du désir. À la condition
bien sût que chacun consente à se donner plutôt qu'à se préserver.
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Florentina Loredana DALIAN sait faire la part des choses afin de ne rien
généraliser et de ne pas prendre l'ombre pour la proie. Elle fait de
l'aphorisme une recherche intérieure sans jamais chercher l'effet de
surface. L'auteur expérimente par ce genre le monde au nom même de ses
faiblesses. Ce qui est un gage de vérité. Elle sait aussi combien dans
notre vacuité nous oublions ce qui nourrit nos moments, notre âme, notre
corps. Bref tout chez elle ramène à une injonction première : « Êtres
humains, encore un effort. » À l'impuissance nul n'est tenu.
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Emil
DINGA est un poète subtil. Il fait de l'aphorisme l'essence de sa quête
existentielle et poétique. Elle a le mérite de la profondeur : « Quand
deux intelligences s’affrontent, il résulte une vérité, quand deux
caractères s’affrontent, il résulte une morale. » écrit-il. Fautil y
voir de la tristesse ? Bien plus sans doute pour celui qui cultive une
certaine négativité (jouissive ?). Pour preuve : « L’amour partagé est
la fin de l’amour. » Beaucoup des auteurs de cette anthologie ne seront
pas d'accord avec lui. Mais c'est ce qui fait le mérite de propositions
de réversibilité. L'oeuvre de Dinga en reste un des pôles.
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Ion
DIORDIEV n'oublie jamais de joindre le haut au bas, le corps à l'âme, le
sommet de la pyramide humaine à sa base. C'est une manière de reprendre
le monde dans l'espoir d'une harmonie aussi intérieure qu'extérieure.
Mais chez l'auteur rien n'est donné pour acquis. L'aphorisme est là pour
accorder à l'homme plus d'énergie afin de lutter contre sa peur du vide
selon des stratagèmes qui ne sont pas forcément glorieux. Mais l'auteur
fait confiance à la petitesse humaine. C'est une manière de prendre
l'homme à son propre piège et de le faire réagir dans un monde où les
rois sont rarement nus. Ce qui n'est pas le cas de leurs peuples.
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Ion
DIVIZA cultive une lucidité ironique : si bien que toute illusion sur
notre nature disparaît. Nous n'y pouvons rien. Nous sommes fait comme ça
: « J’étais plus intelligent quand j’étais en bas âge, parce que
j’ignorais ma bêtise ! ». Sous ce paradoxe se creusent d'autres abîmes.
Et bien des désillusions générales ou proprement roumaines pointent : «
Les médecins s’enfuient à l’étranger, les patients ‒ dans l’au-delà. »
Il y a là des vérités pas bonnes à dire mais qu'il faut bien souligner.
L'aphorisme sert à planter de tels clous. Ce qui n'est pas sans faire
sourire ‒ avec amertume. Mais nous ne sommes pas les seuls : « Le
Très-Haut aime l’humour, surtout les prévisions météo ! » À bon
entendeur, salut !
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George DRĂGHESCU lui aussi ne se fait guère d'illusion sur la condition
humaine, sa petitesse, son ethnocentrisme un rien animalier. Chacun y va
de son pouvoir. Pour preuve : « On prend plaisir à être obéi à haute
voix ». Peu d'illusions chez le poète sur notre peu qui aspire au tout
mais sans s'en donner les moyens. Chacun officie dans le néant avec son
tout à l'ego et ses maquillages. Bien sûr nous trouvons de quoi nous
justifier. L'infâme en nous prétend incarner des idées nobles.
Qu'importe le jugement dernier. Apparemment nous avons d'autres chats à
fouetter.
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Teodor DUME rappelle combien qui veut faire l'ange fait la bête tant
nous sommes impuissants à cultiver un minimum d'élévation. « C’est tout
juste la pierre du gouffre d’un puits qui peut parler de la douleur de
l’eau. » : rarement l'homme s'élève en une telle profondeur même s'il
rêve de chatouiller le ciel. Certes, « l’amour est l’arme la plus
puissante de l’humilité. » Mais combien sont capable d'un tel effort ?
Il est vrai que l'amour n'est pas le sentiment le plus partagé au monde.
À bon escient Dume le rappelle. Il espère pour l'être une véritable foi.
Elle lui permettrait de n'être pas seulement le domestique de lui-même
et de se reconnecter à l'altérité loin de tout cosmétique.
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Mihai ENACHI reste un aphoriste de premier plan. Il sait que l'homme
n'est qu'une particule. Pour preuve, « dans l’horoscope natal, Dieu joue
au billard avec les astres de notre destinée. » Dès lors il ne faut pas
trop demander à la nature humaine. Elle s'accommode de tout et surtout
d'elle-même. La bêtise nous guette ‒ du dedans comme du dehors. Et
l'auteur lui même ne fait pas exception. Nous pouvons donc lui faire
confiance : charité bien ordonnée commence par soi-même. Ce qui prouve
que toute vérité ‒ soit-elle pas bonne à dire ‒ est lumière.
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George GEAFIR est un satiriste impertinent. Il met l'homo sapiens au
coeur de son aspect spécieux. Dès qu'il parle, il se ment à lui même.
Ses paroles sont des ailes d'un moulin : elles brassent du vent. Et
chacun se complet dans ses erreurs avec l'air chafouin d'un « type
délicat, qui n’entre pas tout botté dans votre âme, mais les pantoufles
à la main ». Tout homme est prêt à se vendre pour rien. Et si le «
dénigrement ne nourrit pas notre orgueil, pourtant il certifie notre
valeur ». Est-ce rassurant ? Pas sûr. Mais ce n'est pas l'objectif de
l'auteur. Il soigne son angoisse par nos incompétences notoires, sauf
une : « Je peux me priver de tas de choses, mais de moi, jamais. » Ecce
homo.
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Pour
Vasile GHICA « les échecs répétés en amour mènent au vice ou bien à la
grande poésie. » Ce sentiment est donc une des grandes affaires de son
écriture. Du moins tant qu'il y croit comme l'enfant au Père Noël.
D'autant que seuls « les cocus considèrent l’amour comme une erreur. »
Tout compte fait c'est bien peu car leur nombre est moins nombreux que
celui des maris qui naviguent en justes noces. Quoi que... Mais c'est
une autre histoire. Mieux vaut croire à nos croyances et porter la coupe
de l'amour aux lèvres même lorsqu'elle s'ébrèche. Et qu'importe notre
myopie en ce domaine.
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Vasile Sevastre GHICAN lui aussi fait de l'amour l'affaire de la vie.
Étant septuagénaire nous pouvons faire confiance à ses leçons de
conduite et d'inconduite. Néanmoins l'auteur n'en fait pas une fixation.
Il nous dit notre fait. Celui-ci n'est pas forcément celui que nous
attendions. Néanmoins nous savons soigner « nos procès de conscience par
des insecticides. » Cela ne sauve pas mais nous arrange bien. Et notre
langage permet de mettre sur notre manque bien des sparadraps. Pour
autant l'auteur ne cherche pas à nous guérir : il enfonce notre clou
jusqu'à nous rendre marteau. En entendant nous rampons comme des
animaux.
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Gheorghe GURĂU a découvert en homme l'animal qui le hante. Dès lors et
en ce sens « Est-il normal qu’un âne porte des oeillères comme les
chevaux ? » mais là n'est pas la question. Dans les deux cas nous
restons à quatre pattes. Nous faisons donc tous partie d'un même
troupeau. Guenon, primate ou simplement ‟couillon”, tout nous va. Si
bien que les aphorismes de l'auteur fomentent notre immense bestiaire.
Nos bestioles nous rongent de l'intérieur. Et, pour nous venger, nous
mordons parfois comme des chiens enragés. Nous nous arrangeons toutefois
de cacher qui nous sommes sous forme de poussin. Dans l'espoir qu'il
existera toujours quelqu'un pour nous caresser.
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Ovidiu KEREKEŞ illustre le monde tel qu'il est au sein de ses appétits
et religions temporaires. Le sport y devient le veau d'or fait pour
amuser les hommes. Faute de Dieu chacun cherche dans des illusions
farcesques ses rêves d'éternité. C'est un peu mince mais nous sommes le
fruit de la civilisation qui nous fait. Kerekeş rappelle que la sagesse
et l'amour sont choses peu amènes à qui se mêle de ne penser à rien. Ce
qui permet à la bêtise voire à la folie de nous consommer à petit feu. À
cette aune la littérature pourrait-elle sauver le monde ? L'auteur
l'espère. Mais il n'en est pas sûr. Et c'est un euphémisme.
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Victor MANOLE est plus confiant dans ce qui arrive pour peu qu'on s'en
donne les moyens moraux. Ses aphorismes offrent des structures de
fondements. Leur auteur est bienveillant « Qui pratique l’humilité et le
pardon, aime (vraiment) la vie », ou « Ne jouissez pas de votre richesse,
mais de vivre d’autres lendemains encore. » Comment ne pas lui donner
raison ? Il aborde l'aphorisme selon une voie particulière. Celle d'une
édification avec l'espérance chevillée au corps et le rappel aux
chuchotis du coeur. L'auteur croit à l'humain, le revendique. Sans
illusion certes mais dans l'espoir que nous cessions de divaguer dans
l'à peu près.
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Nicolae MAREŞ pratique l'aphorisme dans la même veine. Le genre appelle
chez lui à la dignité de l'être ce qui n'ôte pas un certain sens de
l'humour : « Pour le bougon, le rire est errement. » Mais ce n'est pas
le cas de l'auteur. S'il pourfend certaines erreurs, errances, horreurs
là où la perfidie est ‟soeur de la barbarie”, l'objectif est de secouer
l'humain pour le sortir de sa paresse. Résonne un appel au désir de
durer au nom de valeurs premières et parfois les plus simples. La
justesse de vue se moque de tout effet au profit d'une vérité parfois
dure mais toujours altière.
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Gheorghe MIHAIL part de la position précaire de l'homme. Celuici est au
bord du précipice inhérent à sa condition. Mais l'aphoriste lui révèle
de quoi la vie est faite : « Pour les mortels, le rideau ne se lève
jamais pour les répétitions suivantes. » Néanmoins, et comme disait
Beckett, « ça suit son cours ». À mesure que la vie avance son océan se
complète. Ce n'est pas toujours joli, joli ‒ surtout pour certains : «
Ce sont les seuls richards qui se paient le luxe, les pauvres ne font
que l’entretenir. » Pour autant l'auteur ne se limite pas à une critique
sociale. L'aphorisme s'y prête mal : il advient pour entamer un dialogue
plus intime entre l'homme et lui-même. C'est là que toute révolution
digne de ce nom commence.
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Constantin OANCĂ ouvre l'aphorisme à une vision poétique pleine
d'irisations. Son écriture se fait douce, insidieuse et cosmique : « Il
fait nuit. Dieu nous regarde par ses étoiles. » et avec lui il faut
savoir contempler divers types de beauté, même dans le kitsch, cette «
bête qui attente au ramage d’un oiseau ». Existent dans cette approche
de superbes frémissements. Là vie est là, impalpable et prégnante.
Parfois suave parfois plus hésitante lorsque « L’attente est un rivage
avec un navire qui n’arrive plus. » Tout est du même ordre et donne à
l'aphorisme un réalisme merveilleux. Il ne peut que séduire.
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Mircea OPREA tord le cou à un certain lyrisme. Il ramène à une
littérarité qui néanmoins n'a rien d'étroitement vériste et ne manque
pas d'humour : « Dans mon adolescence, pour quelques Lei, une Tzigane
errant dans notre rue nous prédisait l’avenir dans un coquillage. Comme
je n’avais pas assez d’argent sur moi, elle m’a prédit juste la fin. »
Tout dans l'oeuvre est du même esprit corrosif et impertinent. L'auteur
sait que pour peu qu'on ait « un fusil à la main, tout ce qui bouge peut
devenir une cible. » L'aphorisme lui aussi est une arme contre les
discours prétendus inspirés des grands orateurs prêts à faire dormir
debout. Opréa caresse d'autres ambitions là où l'écriture devient l'«
aile volant devant l’oiseau ».
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Cornel PAIU ne prétend pas enserrer le monde dans ses aphorismes même si
son rêve secret est la réconciliation suprême entre diverses ordres. « À
partir de cendres et de quelques étincelles » il dit notre fait à qui
nous sommes : « Si on était des lions, on déchirerait la charogne de ‟la
démocratie” actuelle, pour ne pas crever de faim ! » Mais de fait nous
nous contentons de digérer notre famine en attendant la fin. C'est un
peu maigre. Demeure chez l'auteur un aspect ascétique. Il ne stigmatise
rien et tente à chercher des ruptures dans le fil des jours tels que
nous les alignons.
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Nicolae PETRESCU-REDI ne fait pas dans la pitié ou la commisération : «
En embrassant Jésus, Judas rapprochait ses crocs. » rappelle-t-il. C'est
là les marques de la nature humaine dont « le bâton d’invalide est plus
proche de nous que celui de maréchal. » Qu'à cela ne tienne : l'auteur
ouvre nos clés de voûte afin que nous nous élevions hors des cellules
que nous aménageons. Il faut à l'humain plus d'ambition. Et l'aphorisme
nous appelle à l'ombre des arbres de la tentation au nom de la beauté, «
Icône suspendue au clou de l’instant."
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Vasile PONEA ne cesse d'appeler à la lumière. Pour lui elle nourrit le
monde et reste toujours prête à renaître. Nous sommes dons des héritiers
de la terre : à nous, au nom d'une énergie morale, de lutter contre le
désespoir ‒ même s'il est contagieux. Renonçant aux leçons de Cioran,
l'auteur caresse d'autres objectifs : « regarder au-delà de moi pour
trouver l’énergie des pensées. » C'est une belle leçon. Et qu'importe si
ceux qui nous gouvernent font preuve de bien plus que quelques gouttes
d'absurdité. Ne comptons donc que sur nous. Bref soyons poètes en vivant
sous la croyance à la lumière.
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Elis
RÂPEANU, fée des songes de l'esprit roumain et de son humour, n’a qu’une
solution: ‟chercher ses ailes.” Car marcher ne suffit pas. Il faut plus
d'ambition à l'être. Qu'il sache enfin vivre l'instant plutôt que de
parier sur l'avenir. Et qu'il s'habite, ici-même, ici bas : « les petits
rêves n’ont pas besoin d’ailes gigantesques. » écrit l'auteure. Et il
suffit de les vouloir. La poésie le prouve. On peut rêver d'histoires
merveilleuses même en se lavant les dents.
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Michelle ROSENBERG apprend un certaine justesse de vue. Il faut savoir
se méfier de ce qui brille. L'or n'est pas nécessaire à qui habite le
temps et transforme l'aphorisme en « cristal baigné dans le symbolisme
du monde. » Telle est la vraie symbiose entre ce qui s'écrit et ce que
l'on fait. Pour peu que l'on apprenne à accepter la recherche d'une paix
intérieure. Ce lieu est mystérieux mais sa quête seule donne à
l'écriture son authenticité. Elle se débarrasse aussitôt de son
impatience et de son amertume.
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Gheorghe A. STROIA cultive une certaine idée de la sagesse. Rien se sert
de s'en prendre aux autres avant que chacun entame son propre dialogue
intérieur. « J’ai fait la rencontre du souvenir ; dans ses sentiers, les
désirs avaient mué en larmes... » Néanmoins, chaque fois il faut aller
plus loin. L'aphorisme le propose dans l'appel à une générosité envers
les autres. Ces derniers ne sont un enfer que pour les narcisses. Le
seul moyen de faire bouger les choses est de les retrouver au nom de
notre profondeur cachée car « les couleurs de l’âme sont les
fondamentales. » Du moins à celui qui ne se contente pas de son propre
spectre mais s'oriente vers une ombre plus solaire.
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La
poésie de Dan SURDUCAN tente de danser sur le visage de la pensée au
sourire qui mord. Dans un exercice de solitude l'auteur crée par
l'aphorisme une introspection. Il connaît le poids de la vie et au fil
du temps tente un nouvel équilibre entre le coeur et l’esprit. Surducan
reste avant tout un humaniste avide de sagesse et de simplicité. Certes,
écrit-il, « Dans notre monde, la sincérité n’est pas toujours une carte
gagnante. » mais il convient de s'y engager : tout le monde à y gagner
sa vie sinon le ciel. Et qu'importe si tout finit en poussière. Cultiver
son propre jardin est l'acte de fondation à tout travail humain.
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Lucian VELEA se veut léger. La vie ? C'est un toutou pas snob à qui sait
la prendre par le bon bout même si tout n'est pas facile. Le poète fait
partie des esthètes farceurs : « J’ai commencé une cure d’amaigrissement.
Je ne l’observe qu’entre les repas. » Preuve que la leçon d'existence
n'est pas si compliquée que ça. « On peut devenir fou pour ne pas avoir
fait la folie respective en temps voulu. » rappellel'auteur. La sagesse
n'est donc pas qu'une leçon rationnelle : il faut à l'existence certains
pas de côté. Pour autant Velea ne refuserait pas ses leçons d'inconduite
mais il est comme Dieu : « je prodigue des conseils et presque personne
ne les suit. » C'est pourquoi avant que d'asséner des vérités
fondamentales il tente de construire des remparts de brindilles glanés
dans les quelques livres qui lui servent de guides.
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Silvia VELEA rappelle la vocation à l'existence et selon des chemins qui
semblent contraire à une telle injonction : « Je suis lâche. »
écrit-elle. Mais elle a soin de préciser : « Je crains de battre en
retraite. » L'aphoriste prend donc la vie comme il faut. Le besoin de
vitesse passe par un exercice de lenteur. Et parfois de retrait.
L'auteure offre une belle leçon de vie à qui sait la lire. Chaque pensée
a le mérite de ne jamais tomber dans la facilité : « On ne commence pas
à aimer avant d’être humilié. On ne commence pas à aimer avant d’avoir
passé outre à l’humilité. » Par de telles dualités Silvia Velea évite
des injustices envers soi comme envers les autres. C'est pourquoi écrire
mérite un travail suffisamment précis pour ne jamais se contenter
d'approximations factices. Et si certain des auteurs réunis ici
chérissent l'oubli Silvia s'inscrit en faux face à cette impasse.
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Tous
les créateurs de ce livre témoignent moins de l'espoir égoïste de survie
dans la mémoire des générations futures que de la volonté d'offrir aux
femmes et hommes d'aujourd'hui une substitut laïc à l'éternité
chrétienne et un substitut métaphysique aux illusions communistes. Ils
optent pour un supplément d'âme contre le matérialisme économique et les
idéologies des potentats. Dans tous les cas de tels aphoristes ne se
contentent pas de l'idée de Rimbaud dans ‟Une saison en Enfer”. Il ne
s'agit pas de l'asseoir ‟la beauté sur ses genoux” mais de partir avec
elle en voyage afin de mettre à nu des territoires inconnus. Bref de
permettre la découverte d'un autre monde dans celui-ci. (Jean-Paul
GAVARD-PERRET)