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Daniel MALBRANQUE - VIE MULTIPLE
VIE MULTIPLE
« La littérature, cette horrible copie de la vie multiple »
Louis BRAUQUIER (in Lettres à Gabriel Audisio).
Ah que la littérature est belle
quand elle est faite près du
puits, du fils, près de Christel,
du presbytère, à l’insu
des nuages ou du tilleul,
patriarche du village,
sans nulle presse, nul orgueil,
sur le pouce, à la page,
ou dans la marge; la plume
peut courir ou plutôt voler
là-bas, derrière la brume,
et revenir, après avoir batifolé,
dire les simples mystères
qu’on croyait si mystérieux
et, pour être tout à fait sincère,
n’étaient pas plus précieux
que ça, du pipi de chat !
comparé à toutes les ratures
qui ravinent de cicatrices le plat
du poème si lisse.
Que la littérature
est belle quand elle s’oublie elle-même
et pure ---
Louis Brauquier disait « comme
une morte qui rouvrirait les yeux » ----
J’aime
que le poète dise qu’il est un homme ---
J’aime qu’il chante la femme ---
ou l’inverse --- ou l’un et l’autre
de même sexe --- j’aime que l’âme,
épeautre, du vent se fasse l’apôtre.
CHEVAL-VAPEUR
Caballero, entends comme hennit,
là-bas, le vent dans les monts Cantabriques !
Amigo, j’entends le souffle de Tornado
tout enivré de sa liberté retrouvée !
Caballero, vois comme frémit,
là-bas, la crinière des peupliers sur les cimes !
Amigo, je vois là-haut Bucéphale, à la robe
de feu, qui enflamme les branches et les âmes !
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Caballero, entends comme retentit
là-bas, le flamenco des sabots en folie !
Amigo, j’entends que résonne au loin
la cavalcade des Licornes heureuses sous la lune !
Caballero, vois comme l’esprit
galope par delà l’horizon, au-delà de l’infini !
Amigo, je vois Pégase à plein gaz s’envoler
et franchir le mur du songe, horse-power !
LA ROUE TOURNE
Les plus belles jeunes-filles du monde
vont par deux
à vélo
sur le même vélo
toutes folles de la joie de leur jeunesse
et de leur longue chevelure brune
flottant autour d’elles
en panache d’insouciance
Mais que de laideurs de par le monde
qui viendront
leur nouer les cheveux
taire et ternir l’éclat de leurs rires
jeter entre les roues de leur bicyclette
mille bâtons de mauvaiseté
mille désillusions
mille sombres réveils
Rien n’y pourra
pas même L'Eglise de Jésus-Christ
des saints des derniers jours
qu’elles laissent en pédalant gaiement
Transparence de l'Amour
J'aime
quand l'Amour
toute dépenaillée
toute ébouriffée
au matin ouvre
les persiennes
et par la fenêtre
de notre chambre
fait pendre les draps
pour qu'ils s'aèrent
des tendres moiteurs nocturnes
quand elle me sourit alors
de fraîche et franche complicité
comme au premier jour
qui suivit notre première
nuit d'amour
Le soleil est là
qui éclabousse et rend
transparente sa chemise
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HÉRITAGE
Osiris, mon fils, le temps peut venir où pour toi je serai souvenir.
Il te faut préparer à cet instant ton cœur et ton esprit.
Le temps qui court, aujourd’hui te donne ce qu’il me retire. Le
temps qui va me happe, lorsque à bras le corps, toi, tu l’attrapes.
Souviens-toi. Souviens-toi longtemps de ce père qui n’espéra que ton
envol, qui n’aspira qu’à te voir voler de tes propres ailes, toi
aspergé par la lumière divine.
Osiris, sois celui qui me continue, sois celui qui porte mémoire;
puis, comme un nuage qui passe et laisse sa pluie, délivre toi de
moi, délivre ton âme du poids de mes rêves, garde le fil juste de la
filiation, cil pour simple héritage, et sois celui qui me dépasse, ô
fils.
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Daniel Malbranque est né en 1953, à Brest. Etudes de
lettres et philosophie abandonnées au profit de l’errance. Dix
années d’itinérance (Espagne, Yougoslavie, Turquie, Iran,
Afghanistan); puis quinze ans d’activités radiophoniques au sein
d’une radio locale à Ribérac, en Périgord. Entré dans
l’administration, il finit par s’installer au pays de Cyrano.
Créateur en 1969 du défunt Club de la Poésie, puis rédacteur de la
revue anarcho-Dada Toalette (1971-1972). Présent dans de nombreuses
revues : Digor, Vorace, Le Vice et la vertu, Les Voleurs de Feu,
Friches, Le club des Hydropathes, La lettre des Poètes du Berry, Le
Journal à Sajat, Instinct Nomade et dans les anthologies : L’Auberge
espagnole (2011), Les Souffleurs de vers (2013), Le Florilège du
centième (2015), Florilège des Poètes en Bergeracois (2016),
Dossiers d‘Aquitaine (2016, 2017, 2018). En 2018, il a créé la revue
de littérature La Vie Multiple. Il est membre du comité de rédaction
de la revue Instinct Nomade. Nominé au prix Troubadours 2020.
Publications récentes
Cette voile sobre qui cingle suivi de Cordes cuivres et vents
(2017), éd. Thierry Sajat
Comme un reflet sur l’au-delà suivi de quelques Eaux-Fortes (2015),
éd. Thierry Sajat
Des nuits de l’outre-soi et de certains jours renaissants,
anthologie personnelle 1973-2018 (éd. Germes de barbarie, 2019)
Aller voir ailleurs, récit autobiographique (éd. Germes de barbarie,
2020)