« Revista ASLRQ
 
Gilles Matte - textes tirés de son dernier spectacle: quelques Tarots de la Soif
 

---

elle demande la couleur de l’homme
et le temps passe
en décapotable
les mots s’agrippent aux sons
Tout ce en quoi
je ne crois plus et que j’aime passe devant moi
Tout ce
qui ne croit pas
en moi éblouit le pare-brise
nous appelons tous printemps ce courant
d’air dans les poumons
l’effet loupe de la coupe
de vin vide vide enfin
pleine de sa propre soif

---

la lumière ses silences de nuit
parce que les mêmes mots dans l’herbe
la même rosée peut-être
peut-être
dans les premiers copeaux de l’aube
la même rosée
en silence lisse sur les barreaux
with one hand waving free
dans les sueurs de mémoire
sous le graffiti des mots
où s’essoufflent le silence
la lumière dans ses rigoles
et tout ce qui se noie
dans le tarot replié d’un sourire

*

et je lis de la main gauche
les moments rectilignes
la sueur lente
des regards appris
cette noyade lente dans une aube
sans alcool
la même aube pourtant
qui soûle en silence
les tarots assoiffés de la lumière

---

la patiente patine de l’ivresse
qu’on nommera
consentement dans les couloirs du vent
des absences de nœuds
consentement que je nomme aube la nuit
quand tes yeux nident dans ton sourire
l’ivresse que j’écris cursive
filaments de rire dans la lucidité
l’ivresse que je bois orange à la taverne comme un mot ancien
et que soutiennent donc les murs
quand la soif s’absente

---

le petit bruit de fond
des raz-de-marée
le soleil roucoulant
s’achève
on garantit la lumière bleue
l’apparence du graffiti
ce sont mots de consigne
les cathédrales roucoulent les unes sur les autres
demain est une poussière dans l’œil
c’est moi
qui tend cette perche aux mots
qui épuise le langage dans ses filets rouillés
toute la beauté du monde se regarde dans mes poumons
il faut du lave-vitres pour les écrans
c’est moi qui destine
les mots à leur avenir
qui nomme plaisir
les débordements
c’est moi qui marche dans ce poème de pissenlit
d’aube d’épine
dans le même arbre comme il se doit
comme il se doit
je suis de pylônes et de fils électriques
je suis de laisse sans fil
dans le même corps comme il se doit
où je te berce comme il se doit
où les marges roucoulent les unes les autres
roucouler c’est chanter
dans l’Afrique des dictionnaires
roucouler c’est l’ivresse l’impertinence des caresses
les yeux fermés
sur le menu
le petit bruit de fond
des graviers de la soif

---

les herbes indécises du corps
mordent le vent
cela passe comme un souffle
cela porte des noms
sourire rire séduction
passage à gué ennui
d’en finir ça s’interchange
la serveuse fait son travail
cela porte des noms
convie des routes
des empreintes
cela passe comme un souffle
ça sent l’asile
à fleur de rues
le silence ne sert plus à convaincre les couleurs
c’est pourtant ici
que j’écris
sur les trottoirs ivres de fête musquée
dans ce coin de soif qui me tient lieu de cœur
le jour
qui me tiennent lieu de marée photogénique
où l’âme ce bruit étrange débris de lumière
roule s’enrôle dans le roulis des rôles
roule s’enrôle dans le roulis des rôles

---

ne me demandez pas
entre la pluie et les alambics du soleil
ne me demandez pas
entre la plaie et ses mémoires d’ivresse
ne me demandez pas la couleur
de la douleur qui vous courtise

je bois cette bière
à notre santé ne me demandez pas
la liste des pronoms chacun pour soi
la longueur du poème son bruit de fond
je ne sais pas pourquoi j’abrite
dans le bruit des mots la peau des images
la corde à danser du désir
l’odeur du mot odeur quand la pluie et
la sécheresse ne proposent rien que
la douce heure des confusions
ne me demandez pas
de colmater vos souvenirs
je vous offre cette bière
je vous offre ce soleil sur les nuages
ces nuages tel que vous les entendrez au bout de l’œil
au bout de l’angle vivant de ce qui vous arrive et vous reste
les corps mouvants émouvants

ne me demandez pas
de vous parler de moi.


(Gilles Matte) (intra-texte : Joë Bousquet)
 


Sursa: Gilles Matte, 16 nov. 2023