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Michel Chevalier - Extraits de recueils de poésie
 
A - Issus du recueil "Histoires d'Armor et d'Argoat", de Stellamaris aux Editions Stellamaris
 

Couronne d'Ys (couronne de sonnets : 14 sonnets, dont les premiers vers en forment un quinzième, dit "sonne maître"
Sonnet Maître - La légende

Gradlon le grand de Cornouaille
Aimant sa fille à la folie,
– L’Amour excessif toujours lie ;
Quel sort funeste ! – Et l’on crie « Aïe,

Oh, malheur ! » Chaque cœur tressaille :
« Dieux ! Quelle cruelle ordalie !
Ys, sous les flots, ensevelie ;
Voilà, son peuple est à la baille ! »

« Châtiment ! », prêche le recteur ;
« Un exemple pour le pécheur ;
Qu’il renie enfin sa malice ! »

Dahud ricane sous les flots :
« Ahès est ma libératrice,
La gardienne de ces enclos ! »

1 – Le roi Gradlon

Gradlon le grand de Cornouaille
Était un sage souverain ;
Tous craignaient sa poigne d’airain
Quand il partait à la bataille !

L’ennemi vaincu crie et braille :
« Nous sommes perdus ! Suzerain,
Pardonne-nous ! » Mais lui, serein,
Fait ses vassaux de la canaille !

Oncques ce roi ne trébucha,
Toujours agile comme un chat
Dans les guerres, la politique…

Sa sagesse fut abolie
Quand il chut – Passion épique –,
Aimant sa fille à la folie !

2 - Dahud

Aimant sa fille à la folie,
Il lui fit un présent divin,
Car « “ Moins ” », disait-il, « serait vain !
Elle est si belle et si jolie,

Et si noble ; “ moins ” l’humilie ! »
Il lui donna donc, pour ses vingt
Ans, cette ville ; l’écrivain
Osant la chanter, la spolie,

Car même le superlatif
Tressaille, puis devient poncif…
Je n’ose la glossolalie…

Non, tout mot prend peur et se tait !
Pour toujours, sa raison partait…
L’amour excessif toujours lie !
3 – Les racines du drame

L’amour excessif toujours lie,
Gradlon fut pris de cécité…
Dahud régnait sur la cité
En païenne, comme Athalie

Que fustigeait le grand Élie ;
Et Gwénolé, cet exalté,
Rageait, de colère emporté !
Le calice, jusqu’à la lie

Entre les deux fut bientôt bu ;
Tôt, la princesse et le barbu
Par le mot se désentripaillent…

Quelle âpreté dans ce conflit !
Ainsi, le drame fait son lit,
Quel sort funeste ! Et l’on crie « Aïe ! »

4 – Conflit de grands

Quel sort funeste ! Et l’on crie « Aïe,
Comment cela va-t-il finir ?
Maudire est plus fort que bénir ? »
Non, ce n’est plus de la rouscaille :

Chacun d’eux, tel de la racaille
Incapable, sauf de haïr,
Le cœur fermé, n’a qu’un désir :
Que son rival crève ou défaille !

Le dénouement sera sanglant ;
En otage, le cœur tremblant,
Le bon peuple, vile piétaille,

Quand les grands luttent, ombrageux,
N’en comprend guère les enjeux…
Oh, malheur ! Chaque cœur tressaille !
5 - Ordalie

Oh, malheur ! Chaque cœur tressaille !
L’Évêque et Dahud divaguant,
En naîtra-t-il un ouragan ?
Hélas ! Voici que chaque ouaille

De leur combat, devient cobaye !
Et de plus, c’est inélégant,
Ahès, Christ, brigande et brigand,
Sont enrôlés ! Chacun ferraille !

Et sur la ville, et sur ses ports,
Ils s’affrontent à coup de sorts ;
L’un deux avec les flots s’allie,

L’autre, avec la terre et les vents…
Chanceux seront les survivants !
Dieux ! Quelle cruelle ordalie !

6 - Submersion

Dieux ! Quelle cruelle ordalie !
Que gagner à cet examen ?
Ce n’est un dieu contre l’humain
Qui le délivre ou l’exfolie ;

Deux astres en périhélie
Trop proches : Leur effet commun,
Annihiler tout lendemain ;
Et l’espérance est abolie !

Voici, l’apocalypse est là,
Portail ouvert vers l’au-delà ;
Et c’est en vain que l’on supplie !

La vague vient de nulle part ;
Vois donc Gradlon pleurer, hagard,
Ys sous les flots ensevelie !

7 – À la baille !

Ys sous les flots ensevelie ;
Aucun humain ne la voit plus
Même par les plus grands reflux,
Mais nul, cependant, ne l’oublie…

Maint barde ou poète publie
Son souvenir, et quand je l’eus
Lu, je fus de douleur perclus !
Ces vers : Une image pâlie

Du coup que je pris droit au cœur
Quand j’entendis, pour ma stupeur,
Cette histoire, qui me tenaille

Et m’obsède toujours la nuit,
Depuis lors et jusqu’aujourd’hui…
Voilà, son peuple est à la baille !

8 – Récits

Voilà, son peuple est à la baille ;
Au long des siècles le récit
De ces jours s’entend par ici ;
Et même si la voix criaille

D’émotion, vaille que vaille,
Il est bon qu’il en soit ainsi !
Comme il faudrait être ranci
Pour ricaner avec gouaille !

Ce jour commença le déclin
Du pays ; il est orphelin
À jamais de sa capitale…

Mais, profitant de la terreur,
Qui jongle avec, comme une balle ?
« Châtiment ! », prêche le recteur !

9 – Châtiment

« Châtiment ! », prêche le recteur,
« Dahud était une sorcière
Le cœur arrogant, l’âme fière,
Qui défiait avec aigreur

Jésus, le Christ, notre sauveur !
Elle repoussait la lumière,
Crachait sur l’évangéliaire ;
Et de plus, comble de l’horreur,

Elle tuait, en sacrifice,
Ses amants ; odieux supplice !
Qui donc ouït telle noirceur ?

Que celui dont la faute est ample,
Médite son sort, le contemple !
Un exemple pour le pécheur ! »

10 – Prêche

« Un exemple pour le pécheur,
Que cette immonde tragédie ;
S’il voit comment la perfidie
Est punie, il peut prendre peur

Et, par un sursaut salvateur
Quitter sa conduite étourdie ;
Il entendra la mélodie
Des archanges, quelle splendeur !

Ici-bas, que perdra-t-il ? Rien !
Il trime comme un galérien,
De maléfice en maléfice ;

Pour s’extraire de ce taudis
Et pour goûter au paradis,
Qu’il renie enfin sa malice ! »

11 – Calice

« Qu’il renie enfin sa malice,
Et que les pleurs lavent ses yeux
Tandis qu’il renonce aux faux dieux !
Vite ! Car sinon, la milice

De l’enfer prépare un supplice
Comme celui dont les aïeux
Qui vivaient en Ys, orgueilleux,
Ont bu le douloureux calice ! »

Pour qui se prend-il, l’arrogant ?
Je voudrais lui jeter le gant
Pour médire ainsi de ma reine !

Ahès ! Que son bec reste clos !
Mais elle est stérile, sa haine,
Dahud ricane sous les flots !

12 – Sirènes

Dahud ricane sous les flots
Car tous ses gens furent sauvés,
Ainsi qu’elle, vous le savez,
Au noir pays des cachalots !

Ils ne craignent plus les complots ;
Tritons, sirènes, préservés
À jamais de tous les Yahvés
Usurpateurs, ces mégalos !

Ils chantent toujours la louange
De celle qui, mieux qu’aucun ange,
Leur trouva le plus sûr abri ;

La princesse conduit l’office
En clamant, comme il est prescrit :
« Ahès est ma libératrice ! »

13 – Office de louange

« Ahès est ma libératrice
Et chaque jour, je la louerai,
La bénirai, la chanterai !
Que tout le peuple, de l’abysse

Sauvé, chante avec moi, qu’il bisse
Et trisse à jamais, sans arrêt,
Ce tout nouvel hymne secret
Que m’enseigna ma bienfaitrice !

Oui, pour les âges infinis
Nous chanterons ces jours bénis ;
Nous avons vu venir notre heure,

Bien amers étaient nos sanglots ;
Elle n’a point permis qu’on meure,
La gardienne de ces enclos ! »

14 – Sur les tours de la Cathédrale

La gardienne de ces enclos
Ne bénit pas que la princesse !
Elle n’eût, par suite, de cesse
– Pour bien se moquer des calots,

Ces robes noires, teints pâlots, –
De manœuvrer avec adresse
Pour que le Roi – n’est-ce prouesse ?  –
Reçoive, du clergé, les los.

Sur les tours de la Cathédrale
De Quimper, vois sa face pâle
Qui domine, ironiquement,

L’évêque et toute sa prêtraille !
Pareille revanche ne ment,
Gradlon le grand de Cornouaille !
____________
 
Nolwenn et Yann
 
J’entends crier un goéland
Pour me raconter son histoire ;
Car c’est un drame époustouflant !
J’entends crier un goéland,
Et j’écris ce poème lent,
Que ne se perde sa mémoire ;
J’entends crier un goéland
Pour me raconter son histoire.

Il fut Yann, un marin pêcheur,
Un solide gars de Molène ;
Mais la mer est parfois sans cœur !
Il fut Yann, un marin pêcheur
Naufragé, par un soir de peur
Et de tempête à perdre haleine.
Il fut Yann, un marin pêcheur,
Un solide gars de Molène.

C’est un anaon maintenant ;
Il vole au vent, l’aile légère,
Errant sans fin, tourbillonnant…
C’est un anaon maintenant !
Il s’attarde, tout en planant,
Sur le port, ne peut s’en abstraire ;
C’est un anaon maintenant ;
Il vole au vent, l’aile légère.

C’est là qu’il aperçut Nolwenn,
La belle ravaudait ses voiles ;
Il se crut soudain en Éden !
C’est là qu’il aperçut Nolwenn ;
Comment ne pas rêver d’hymen,
Tant elle éclipsait les étoiles ?
C’est là qu’il aperçut Nolwenn,
La belle ravaudait ses voiles.

Suppliant, il l’obtint d’En-Haut,
Cette faveur empoisonnée :
Devenir un homme, aussitôt.
Suppliant, il l’obtint d’En-Haut ;
Le prix : Ne pouvoir dire un mot,
La peine est disproportionnée !
Suppliant, il l’obtint d’En-Haut,
Cette faveur empoisonnée.

Il sût attirer son regard,
Il était de belle tournure.
C’est en l’aidant, dans le hangar,
Qu’il sût attirer son regard ;
Il mit en œuvre tout son art
Pour ajuster une rainure ;
Il sût attirer son regard,
Il était de belle tournure.

Tous les jours il vint travailler
À restaurer sa goélette ;
Comme il aimait la côtoyer !
Tous les jours il vint travailler,
L’on vit son bateau flamboyer ;
Quelle complicité muette !
Tous les jours il vint travailler
À restaurer sa goélette.

Un jour, l’ouvrage fut fini,
La belle vers d’autres contrées
Mit la barre en catimini.
Un jour, l’ouvrage fut fini,
Vers un pays indéfini,
Elle s’en fut. Larmes prostrées !
Un jour, l’ouvrage fut fini,
La belle vers d’autres contrées

Partit. Et le pauvre fut seul !
Il pleure. C’est la fin du rêve.
L’espoir d’une noce au glaïeul
Partit. Et le pauvre fut seul ;
Autant revêtir son linceul !
Elle est – et de peine il en crève –
Partie. Et le pauvre fut seul !
Il pleure. C’est la fin du rêve.

Tristement, il reprend son vol,
Criant, jusqu’à la fin des âges
Sa peine et son immense dol.
Tristement, il reprend son vol,
Errant sans but, à moitié fol.
Sur terre, aux cieux, il n’a d’ancrages !
Tristement, il reprend son vol,
Criant, jusqu’à la fin des âges.

J’entends crier un goéland
Pour me raconter son histoire ;
Car c’est un drame époustouflant !
J’entends crier un goéland
Et j’écris ce poème lent,
Que ne se perde sa mémoire ;
J’entends crier un goéland
Pour me raconter son histoire.
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Les monts d'Arée
 
Collines et marais que le ciel bas tutoie,
Haute selve enchantée où mon âme se noie,
Que j’aime ce pays magique, plus qu’aucun ;
Car « Réel », « Irréel », là-haut, ne font plus qu’un !
Collines et marais que le ciel bas tutoie,
Haute selve enchantée où mon âme se noie,
Le rêve s’y fait songe, et, sans s’effaroucher,
La légende y prend corps, on pourrait l’y toucher !
Nombreux sont les hauts lieux, en la terre celtique,
Nul autre n’est si près du royaume féerique ;
Que j’aime ce pays magique, plus qu’aucun,
Car « Réel », « Irréel », là-haut, ne font plus qu’un !

L’on croise les korrigs, chaque soir sur la lande,
Riant, chantant, dansant en longue sarabande ;
Quelquefois, sur la mare – et qui la voit s’endort –
Une fée apparaît, peignant ses cheveux d’or !
L’on croise les korrigs, chaque soir, sur la lande
Riant, chantant, dansant en longue sarabande ;
Ils n’ont peur des humains, les invitent souvent ;
Il faut être endurant, ils courent tels le vent !
Les sceptiques riront, disant « c’est une fable »,
Mais pourtant, croyez-moi, quelle joie ineffable,
Quelquefois, sur la mare – et qui la voit s’endort –
Une fée apparaît, peignant ses cheveux d’or !

Est-ce un rêve ? Est-ce vrai ? Car, quand je me réveille,
Je sens encor le feu de sa lèvre vermeille :
Quel tourment, quel bonheur en mon cœur ; c’est un dard,
Une blessure intime, et s’éveille mon art !
Est-ce un rêve ? Est-ce vrai ? Car, quand je me réveille,
Je sens encor le feu de sa lèvre vermeille ;
Ce monde prosaïque à jamais s’est enfui,
Je vois le petit peuple à présent, jour et nuit,
Je bannis ma raison, je ne suis plus le même,
Je ne puis plus chanter autrement qu’en poème !
Quel tourment, quel bonheur en mon cœur ; c’est un dard,
Une blessure intime, et s’éveille mon art !
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Val sans retour
 
Fatal à l’infidèle est le Val Sans Retour :
Chaque sente y descend, aucune n’en remonte.
Morgane règne là, jalouse de l’Amour ;
Fatal à l’infidèle est le Val Sans Retour !
Il doit rester ici, prisonnier de sa tour ;
Y demeurer reclus, à sa plus grande honte.
Fatal à l’infidèle est le Val Sans Retour :
Chaque sente y descend, aucune n’en remonte.
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B - Issus du roman illustré de poèmes Xura (de Stellamaris, aux Editions Stellamaris)
 
 
Chant du Chaos Rampant

Azathoth tout puissant trône au plus noir des cieux,
C’est au son du flûteau qu’à tout jamais il danse ;
Au gré de sa folie où s’abreuvent mes yeux
Il crée ou bien détruit tout ce qu’il voit ou pense.
Azathoth tout puissant trône au plus noir des cieux,

S’étende son délire aux mondes innombrables !
C’est cela que je veux, moi, Nyarlathotep !
La raison, c’est l’ennui, mille morts ineffables
Valent bien mieux ! Goûtez le vin noir de son cep,
S’étende son délire aux mondes innombrables !

La décence et la paix, voilà mes ennemis,
Eux que chérissent tant les hommes endormis !
Qu’explosent ris et pleurs, sang, guerre et jouissance !
La décence et la paix, voilà mes ennemis !

Éveillez-vous, anciens ! Les hommes sont fourmis
Pour toi, Xura ; il est venu, le temps promis,
Piétine leurs esprits, que le chaos commence,
Éveillez-vous, anciens, les hommes sont fourmis !
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C - Issus de Ecrire (recueil collectif, aux Editions Stellamaris)
 
 
Comment j’écris

Au départ ... Une idée, ou trois mots solitaires ;
C’est le plus difficile à trouver, c’est certain !
L’étincelle brûlant ces blancs froids, délétères :

Ceux de la page vide et de l’esprit atteint
D’une étrange langueur, atone lassitude :
Pourquoi j’écris ? Et quoi ? N’est-ce du baratin ?

Enfin je suis lancé, fini l’incertitude :
Les mots suivants les mots, une strophe apparaît ...
Je suis désorienté : Les choix sont multitude !

C’est pourquoi je m’astreins, comme on suit un décret,
À respecter toujours la stricte prosodie.
Elle embellit le vers, et lui donne un apprêt :

C’est un parfum discret de douce mélodie.
Pourtant, c’est malgré tout pour une autre raison
Que je suis ce chemin d’une plume hardie.

Elle guide mes pas par la combinaison
Restreinte de partis ouverts : Peu sont permis ;
J’en sélectionne un, tout comme à la maison,

Je ne sais composer aucun menu hormis
En choisissant les mets devant le frigidaire.
Ainsi donc, je me tiens sous la règle, soumis.

En suivant ce chemin, j’aperçois au parterre
Une fleur précieuse, au pétale d’or pur,
Que j’ajoute bien vite à mon bouquet mystère.

C’est alors que je vois, étonné, dans l’azur,
Prendre forme à mes yeux éblouis un poème.
D’où vient-il ? Je ne sais. Du présent ? Du futur ?

Et comment ai-je pu découvrir cette gemme ?
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Sous le fouet

Après plusieurs matins d’une fatigue crasse,
Où, ma plume engluée en une sombre impasse,
Je me taisais,
Par cette aube de feu, se restaure ma face.

Et surgissent les mots, en un flot plein d’audace,
Courant, se bousculant, emplissant tout l’espace !
Improvisés,
Ivres, sauvages, fous, ils brisent ma cuirasse !

Je redeviens moi-même, un poète fugace,
Écrivant, sous le fouet de son cygne vorace,
Des vers aisés.
Lecteur, te plairont-ils ? Resteras-tu de glace ?

Stellamaris

Sursa: Michel Chevalier, 10 nov. 2023