Biografie

Blanches et froides

 

les tables sont rondes, messieurs

les tables sont rondes

les rues se sont ennuyées de leur couleur

noire

les portes aboient toujours après les passants

elles aboient toujours après eux

et les murs sont si occupés par leurs ombres

que les âmes ont perdu patience

attendant dans des corps et en l’air

 
dans les cahiers

j’ai des poèmes et des chiffres

dans mon corps du sang et des femmes

aujourd’hui

je ne parlerai plus

de la patrie

ni de Dieu

rien à mon sujet

aujourd’hui

je ferai l’amour uniquement avec Alaska

et je me laverai de ses larmes

blanches et froides

m’élevant par-dessus le monde

tel un avion de guerre
immense

comme un cœur de chien

toi

le regard

qui as quitté mes orbites

et t’es redressé

par-dessus l’océan

garde nos secrets

ne dis rien à la vague

laisse-la se cogner contre la rive

danser comme un serpent
dans les bras des rochers jusqu’à ce que

tu tombes en silence

dans l’explosion ultime
 

le ciel a des becs de colombes

le ciel a des becs de faucons
maman a le front paisible

maman a le front paisible
à chaque inclinaison

elle enveloppe la terre de ses pépins

et le ciel

descend aussitôt

becqueter son front...

 

 

 

Seul

 

je reste seul

non, pas seul, je me suis trompé

j’enfile mes jambes dans un sac de cuir

fait sur commande

à la plus ancienne fabrique de sacs

de la terre

là-bas, le pharaon lui-même s’en est commandé un

dont l’ombre, selon ce que j’ai compris,

flotte encore quelque part sur la mer Rouge

je me blottis dans celui-là

je laisse une petite fenêtre de la taille d’une narine humaine

pour pouvoir aspirer de temps en temps

une poignée d’air

pour pouvoir regarder le ciel

de ce lot d’ordures

où je gis abandonné tel un nouveau-né non désiré… 

 

Mûrissement

 

avec tant de précision

cette ligne se trace

entre ta pupille

et le brillant des chaînes   

qui sonnent en rythme

entre tes chevilles 

à intervalles égaux

te donnant un répit

pour écouter le gémissement

et l’écran

presque un ciel

est si clair

qu’on voie

chaque goutte de ta vie

tandis qu’il se cogne à la terre

pareil à un grain de blé

suffisamment mûr...

 

L’ombre

 

depuis quelques années j’ai une habitude bizarre

chaque jour je sors pieds nus

dans la cour de la maison

à trois heures du matin

je tâte les murs

comme si je buvais

leur silence

je m’adosse au tronc d’un palmier

qui tout en me caressant avec l’air de sa paume,

me raconte toutes sortes d’histoires

hier soir il m’a dit que j’étais né

un jour d’automne

à la même heure que celle où il a été planté

il n’y avait alors rien de vert dans la maison

en dehors de lui et des yeux de ma mère

il se souvient toujours d’elle

elle avait un toucher chaud

une ombre sage

qui ne faisait jamais aucun bruit

elle lui lavait souvent les feuilles

de sorte que tous les arbres alentour l’enviaient 

voilà ce que me raconte le palmier jusqu’au lever

du soleil

et lorsque je commence à m’assoupir

il tire l’ombre de maman bien cachée dans ses racines

il me la tend et appelle tous les oiseaux

pour qu’ils chantent jusqu’à ce que je m’endorme dans ses bras…

 

Mamelon

 

de la bouche de la terre s’élèvent des vapeurs

solitaire, affamé d’une caresse

je tire les rideaux

je condamne mon âme à la prison

bouchant toutes mes pores avec le froid

qui est en moi-même et dans la chambre

personne ne lui tient compagnie

juste la fumée de la cigarette

une illusion avec laquelle on se nourrit depuis la dernière crue

j’entre en rampant dans l’écran de l’ordinateur

je n’ai pas encore appris à marcher sur les pointes des pieds
j’entre en rampant en quête d’une poésie
d’un Dieu

qui débouche mes pores comme une transpiration chaude

en rampant jusqu’à m’user les genoux jusqu’aux coudes

jusqu’à ce que je m’endorme la touche tel un mamelon de ma mère entre les lèvres….

 

 

Clés

 

aujourd’hui j’ai versé tout le blanc des paumes

j’ai caché les clés corrodées sous les vêtements intimes

quelqu’un

m’appelait

m’ordonnait

de sortir mes enfants et mes affaires de la maison

j’ai fait avec lui un parterre

de mots

et j’ai couru sur les traces de l’âme 

qui sifflait sans cesse

lorsque je suis arrivé en elle

j’étais tout nu

sans clés ni mots

et la terre que je regardais par la fenêtre

était un océan de lait

où nageaient plein d’enfants qui infatigablement me faisaient des signes de leurs mains….
 

traduceri de Nicole Pottier